Par quoi es-tu préoccupé ?
Mon cher Quaesitus,
Si tu as lu mon poème "Perles de nuit" et l’extrait de mon journal, tu sens que je ne vais pas avec toi … bavarder … mais t’entraîner … si tu le veux bien … dans la profondeur, ta profondeur.
Tu me connais déjà un peu, mais si tu es vraiment un quaesitus, un quêteur, alors les questions que je vais te poser devraient te faire réfléchir, te rejoindre dans ta réalité intérieure, te toucher en plein cœur, que tu sois un homme ou un femme, un croyant ou pas.
Ces questions pointent vers l’universel de la nature humaine, à ce fonds que nous avons en commun, que nous pouvons occulter, mettre à la marge, mais qui est toujours là au fond de chacun d’entre nous. Nous sommes frères en humanité.
Une question dérangeante
Il m’a fallu beaucoup de temps pour arriver à formuler la bonne question, celle qui permet de lire avec pertinence la réalité de ce que je vis … de ce qui m’habite … et ainsi la comprendre mieux.
Je me suis égaré longtemps dans ma quête parce que je ne me posais pas les bonnes questions.
Cette question, somme toute très banale, est en fait LA question qui permet d’aller à l’essentiel, de commencer à descendre dans ta profondeur. Je dirais même qu’elle est décapante.
Alors, Quaesitus, par quoi … exactement … es-tu préoccupé ?
Peut-être, faut-il que j’explique mieux ce que j’entends par préoccupation ?
Rien ne vaut un dictionnaire !
Préoccupation : avoir l’esprit trop occupé par un objet pour faire attention à un autre – une crainte ou une opinion/une pensée préconçue qui saisit l’esprit
Être préoccupé n’est pas synonyme de se faire du souci … parfois c’est le cas, j’en conviens. C’est plutôt « être occupé par quelque chose qui est déjà là dans notre vie, en nous ». Cela pointe déjà vers la profondeur. Ce « déjà là » est important, il signifie qu’il est là … avant même que nous en prenions conscience … que nous nous en préoccupions.
Mais voilà, « ce qui est déjà là » est rarement très conscient. « Il » est sous la surface, « Il » agit en profondeur … en silence. « Il » apparaît de temps en temps à la surface consciente de notre être, mais nous nous hâtons de penser à autre chose …
… de nous distraire.
Distraire : action de détourner l’esprit d’une occupation … d’une préoccupation aussi.
Tout est là !
Sans arrêt, je suis occupé à me distraire de ma préoccupation qui est déjà là
Crois-tu que j’exagère ?
Voyons plutôt une journée type d’un homme ou d’une femme moderne et actif :
Le matin je me lève avec plus ou moins d’entrain. J’allume la radio ou la TV, pour écouter de la musique ou les infos … en bruit de fond. J’ai besoin de cette transition entre le sommeil et l’activité de la journée. J’ai déjà commencé à me distraire.
Ensuite, je vais à la salle de bain pour me préparer. Selon que je suis un homme ou une femme, cela prend plus ou moins de temps :-) Je m’apprête, je me rends prêt … prêt à affronter le monde. Je me rase, je me maquille, je me coiffe, je m’habille … je me fais beau ou belle pour que tous ceux que je vais rencontrer … ne me voient pas comme je suis au saut du lit. En fait, je cherche à les distraire … de ce que je suis au naturel. C’est ainsi que l’on fait … en société.
Je prends ma voiture ou un transport public. Dans la voiture j’écoute la radio, dans le bus ou le train, j’ai les écouteurs de mon lecteur Mp3 dans les oreilles. Je me distrais du bruit de la circulation ou du brouhaha dans le wagon. Je suis dans ma bulle, non pour être avec moi, mais pour me laisser envahir par la musique ou les paroles … je m’occupe … je me distrais.
Je rejoins mon travail, rencontre mes collègues, commence par me faire un café, ouvre mon courrier, lis mes mails et … je travaille. Mon travail devient mon occupation. Je dois prendre des décisions, négocier, traiter des dossiers et des problèmes, interagir avec d’autres personnes. Je fonctionne à la surface de moi-même. Mon être profond est mis de côté. Mon occupation est devenue ma grande distraction … je ne fais que fonctionner selon ce que mon entreprise ou mes collègues attendent de moi.
Le travail terminé, je retourne chez moi, regarde la TV, joue à une console de jeux, lis un livre ou prends du bon temps avec des amis, des proches. Je me distrais … d’une longue et lourde journée de travail. Je l’ai bien mérité.
Ensuite, je vais me coucher et entre en sommeil, mon être est comme suspendu pendant plusieurs heures … mis entre parenthèses. Je rêve. Ma conscience baisse … je suis absent à moi-même … je suis ailleurs …
… je me distrais de moi-même.
Imagine un instant … et je l’ai fait plusieurs fois … que tu es en retraite de groupe avec une règle simple : le silence. Durant 5 jours, du premier jour au dernier, plus de radio, plus de TV, plus de téléphone, plus de paroles échangées avec les membres du groupe, même pendant les repas communautaires … seulement le silence.
Serais-tu enchanté à cette idée ? Pourquoi le vois-tu certainement comme un exercice difficile … voire impossible ? C’est simple ! Durant cette retraite, tu ne seras plus distrait de toi-même. Durant 100 heures, tu ne seras qu’avec toi … sans échappatoire, sans distraction … seulement avec toi … en silence. Alors que ressentiras-tu ? L’ennui, le vide …certainement si tu n’as pas déjà pris contact avec ta profondeur, ta vie intérieure. Peut-être vas-tu écourter ton séjour et revenir à ta vie ? Mais est-ce vraiment ta vie ? N’est-ce pas un retour à tes occupations, en fait à tes distractions pour éviter une seule chose qui t’es devenue insupportable :
Le silence … ce vide qui te permettrait de prendre contact avec ta profondeur encore insoupçonnée, de faire connaissance avec toi, d’entrer en relation avec toi, d’être tout simplement !
Alors, une fois encore, je te pose la question : par quoi es-tu préoccupé ?
Ton travail ? Ou ton manque de travail parce que tu es au chômage ?
Par l’argent dont tu as besoin pour vivre, par le prix des choses qui augmentent ?
Par les impôts que tu dois payer, par tes dettes que tu ne peux pas payer ?
Par le succès ou l’insuccès de ton activité ?
Par tes prochaines vacances, où tu vas aller, avec qui ?
Par le nombre d’amis que tu as sur les réseaux sociaux ? Plus tu en as, plus tu es une personne qui compte ?
Par le nombre de messages que tu reçois par jour, le signe à tes yeux que tu es apprécié ou pas ?
Par l’amour, par le sexe, par le plaisir, par le bonheur ? N’est-ce pas bien naturel ?
Le nombre de nos préoccupations est infini et toujours renouvelé. Ainsi va la vie … et c’est bien normal, dis-tu ?
Nos préoccupations laissent apparaître ce que nous sommes
Désolé Quaesitus, mais je vais certainement te sembler dur et injuste … je t’ai dit que cette question pouvait être décapante.
Tu es certainement une femme ou un homme éduqué, compétent, apprécié, avec une expérience riche et variée …
… mais si tes seules préoccupations sont celles que je viens de décrire, alors je ne vois pas ce qui te différencie fondamentalement d’un animal !
C’est sévère, je sais … mais réfléchis bien … n’est-ce pas pertinent, même si c’est impertinent !
Un animal sait analyser une situation pour en tirer le meilleur parti pour lui.
Il sait satisfaire ses besoins primaires (se nourrir, se protéger, se défendre) et ses besoins sociaux (trouver un compagnon pour se reproduire), il est préoccupé à satisfaire tous les besoins qui le tenaillent.
Il sait prendre du bon temps, se distraire, il est préoccupé par son bien-être.
Je suis même convaincu que les mammifères ont un fonctionnement mental, une sensibilité, une capacité d’apprendre, d’avoir même des rudiments de culture apprise des autres membres de son groupe, il est préoccupé d’évoluer, d’avancer.
Mais alors, qu’est-ce qui me différencie d’un animal même supérieur ?
Je dirais que l’homme est un animal pensant capable de se prendre comme objet de réflexion et de pensée. Il a conscience de lui-même comme un être séparé de son environnement. Ce qui le distingue vraiment de l’animal c’est sa capacité à avoir une vie intérieure, à discerner une préoccupation qui est déjà là, au fond de son être, une préoccupation qui rend toutes les autres secondaires et intermédiaires, une préoccupation qui parfois le mets à la question, une sorte de torture intérieure, qui l’empêche de se contenter de n’être qu’un animal pensant qui fonctionne.
Tu sais, Quaesitus, à quoi l’on voit que tu es conscient que cette préoccupation, est déjà là et t’anime … encore faiblement peut-être ?
Ta vie trépidante, ta vie pleine d’occupations qui te préoccupent, ta vie sans silence, ta vie ne te satisfait pas complètement. Tu sens une sorte d’incomplétude, d’inachèvement.
Je te réponds : pas besoin de changer de pays, de métier, d’amis, de conjoint, d’occupations. Il te suffit de partir en voyage … vers ta profondeur. Elle t’attend pour te révéler à toi-même.
Texte : Thierry Feller
Ce texte est inclus dans un e-book au format PDF que vous pouvez lire ou télécharger. Il est libre de droit. Vous pouvez donc le diffuser comme vous le souhaitez.
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