Histoire d'un grand coquelicot coupé
Mon rêve de jeunesse brisé : le grand coquelicot a été coupé
Dès que je me suis converti au Christ à 20 ans et que je me suis rapproché d'un groupe évangélique de prière à l'Epfl, j'ai été passionné par cette nouvelle vie. J'ai dévoré la Bible que j'ai lu en entier plusieurs fois. Très vite j'ai témoigné de ma foi devant des groupes. L'appel de Dieu à le servir a retenti en moi sans l'ombre d'un doute. Ensuite, j'ai cherché une communauté évangélique alliant la foi et l'action (mes critères à cette époque), je me suis rapproché de l'Armée du Salut. Je suis rapidement devenu recrue puis soldat avec l'abstention d'alcool.
J'ai été très assidu et j'ai aimé cette ambiance chaleureuse où l'on pouvait témoigner et prendre la parole assez librement. Spontanément et sans en parler à l'officier, j'ai organisé avec d'autres jeunes des réunions d'étude de la Bible chez un camarade. Il l'a su et m'a fait comprendre que mon action n'était pas conforme au fonctionnement normal du poste. Je ressens encore le sentiment d'incompréhension et d'étonnement que j'ai eu à cette époque. Les autres jeunes aussi avertis ont pris leur distance avec moi le perturbateur.
Je n'étais qu'un soldat et pas un officier !
Assez vite j'ai rencontré un problème avec la doctrine qui a décidé de n'offrir ni baptême ni Sainte-Cène dans cette communauté. C'était aussi l'époque du mouvement de pentecôte avec la recherche du baptême du St-Esprit. Cela m'a amené à fréquenter à côté de ma communauté des réunions d'évangélisation charismatiques. Très vite on m'a interpellé sur le fait que je n'étais pas baptisé par immersion, mais seulement par aspersion à ma confirmation à 16 ans dans l'Eglise Réformée. C'est devenu un vrai problème pour moi. L'homme qui m'avait amené au Christ m'a baptisé dans le lac en dehors de toute communauté.
Ensuite j'ai rejoint l'Eglise de Réveil durant plusieurs années sans prendre aucune responsabilité alors que j'aurais voulu prêcher de temps en temps.
Lors de mon premier emploi comme animateur dans un EMS, je dépendais directement du directeur. Il m'a donné les coudées franches et je me suis senti hyper-motivé à organiser toutes sortes d'animations et les pensionnaires appréciaient. Une nouvelle infirmière en chef commença et obtins du directeur que je sois placé sous sa responsabilité. Elle fut hyper-contrôlante, je ne pouvais plus rien faire sans lui en parler, m'empêcha de mettre mes affichettes dans ascenseur, contrôlait mon temps. Mon auto-motivation tomba complètement, je devais rentrer dans le rang et me soumettre aux diktats de cette personne.
C'est alors que j'ai rencontré deux familles qui vivaient en caravane et évangélisaient librement en voyageant et en vivant de dons. Le directeur les avait autorisés à camper sur une partie du parking de l'EMS. Ce contact m'a bouleversé et j'ai voulu faire la même chose. La femme avec laquelle je m'étais marié en uniforme à l'Armée du Salut et salutiste depuis des années a accepté. J'ai quitté mon emploi avec soulagement comme un prisonnier sortant de sa prison, tout vendu et acheté une voiture et une caravane. Et nous sommes partis sur la route en vivant par la foi. C'est à ce moment que j'ai trouvé des diapos avec musique et paroles issues du film Jésus de Nazareth. J'ai commencé à le passer dans des homes, des groupes de jeunes de tous milieux évangéliques. Puis sont venus les films de Billy Graham que je présentais dans des communautés évangéliques qui alors organisaient des rencontres d'évangélisation publiques. J'ai eu parfois des salles avec 500 personnes. Le climat était à la ferveur et à la volonté de gagner des âmes au Christ.
J'introduisais le film, mais assez rarement je prêchais à la fin pour essayer d'amener des gens à la foi. Cela me frustrait beaucoup.
Je n'étais qu'un projectionniste et pas un évangéliste agréé !
C'est aussi à ce moment que l'on me proposa de tenir un stand biblique sur les foires et marchés du canton de Vaud, activité chapeautée par une association liée à la société biblique suisse à Bienne avec des représentants de l'Eglise réformée et de plusieurs communautés, ainsi que la ligue pour la lecture de la Bible à Lausanne.
Je continuais de vivre par la foi avec des dons spontanés (je n'ai jamais demandé d'argent, mais j'envoyais une lettre de nouvelles aux amis rencontrés) et ajoutais un petit revenu avec la vente des livres. Cela me convenait bien et j'expérimentais la providence de Dieu. Ma motivation était au plus haut.
La ligue m'a proposé de mettre notre caravane sur leur terrain en fin d'année (c'était difficile de trouver des campings ouverts qui acceptaient une longue durée). A la fin d'un hiver historiquement froid, ils m'ont poussé (alors que ma première fille était née en été) à prendre un appartement dans leurs locaux en me culpabilisant sur mes devoirs de père de famille. J'acceptais à contre-coeur.
L'association biblique pour laquelle je travaillais se rendit compte de notre situation et me poussa aussi à accepter un salaire équivalent à celui d'un diacre réformé. Je résistais et là aussi ils invoquèrent mes obligations familiales. Le fruit de la vente de livres devait dès lors être versé sur leur compte.
Je dû donc quitter mon statut d'itinérant pour m'installer et devenir simple salarié. Ma motivation intrinsèque s'évanouit.
Je n'étais qu'un salarié comme un autre et pas un évangéliste itinérant !
Ces divers "Je ne suis que ..." alors que je voulais prêcher et évangéliser m'ont poussé à vouloir faire reconnaître mon ministère officiellement. Le fait que l'Eglise Réformée soit dans cette association m'a amené à commencer ma formation par le séminaire de culture théologique, puis la formation diaconale. Au bout de ces 3 ou 4 ans, j'ai été consacré diacre en milieu professionnel en 1989. Mon projet était de tenir une épicerie et de participer activement à la paroisse réformée de Préverenges où j'habitais à la suite du décès de ma mère qui m'avait légué une petite maison.
Je m'entendais bien avec le pasteur et il m'intégra officiellement comme diacre. Je dirigeais 1 fois par mois au moins le culte du dimanche, mais sans donner la Sainte Cène, fonction réservée aux pasteurs. Je découvris qu'un diacre était dans l'esprit des gens un super laïc, mais un sous-pasteur.
Je n'étais qu'un diacre et pas un pasteur !
Puis un couple de paroissiens engagés monta une cabale contre le pasteur qui ne leur convenait pas. Lors d'une séance du conseil de paroisse, son mandat ne fut pas renouvelé et un autre pasteur fut désigné. Très vite, ils me firent comprendre que mon activité était terminée et que je n'étais qu'un paroissien comme les autres, puis je rencontrais le nouveau pasteur qui ne voyait pas ce qu'un épicier diacre pouvait apporter et m'invita à me consacrer à mon commerce. Cela entraina chez moi une grave crise spirituelle et psychologique et j'entrais en dépression alors qu'en même temps je me débattais pour survivre avec l'épicerie que je finis par fermer après avoir perdu tout mon héritage en 1998.
Je n'étais qu'un petit épicier et pas un ministre de l'Eglise !
Je quittais ce milieu devenu toxique pour moi et repris contact avec l'Armée du Salut de Morges où je fus très bien accueilli. Je repris mes témoignages, visitai des personnes en relation d'aide et l'officier me confia souvent des prédications au culte ou des études bibliques. Malgré les soucis que me causaient l'épicerie, ce fut une période stimulante.
C'est alors que je commençais à m'intéresser à des auteurs spirituels catholiques (mon attrait pour la vie mystique) comme Thérèse de Lisieux dont j'ai dévoré l'œuvre complète en quelques semaines. Cela m'amena à désirer vivre une expérience avec la Vierge Marie qui bouleversa de fonds en comble ma vie spirituelle.
J'en parlais à mon épouse qui me pris pour un idolâtre et ensuite à l'officier après mon pèlerinage à Einsiedeln. Il fut compréhensif mais je compris que je ne pourrais plus prêcher sans pour autant être chassé.
Je me rapprochais de la paroisse catholique de Morges où le prêtre m'accueillis très bien. Au fil des mois, ma famille me suivit et assez rapidement nous commençâmes le parcours pour entrer dans la pleine communion de l'Eglise catholique en 1995. Mes 4 enfants furent aussi baptisés catholiques. Notre intégration se passait plutôt bien.
Une fois lors d'une fête mariale, le curé me demanda de témoigner de mon expérience avec Marie. Peu après le curé me fit remonter quelques réactions. Plusieurs paroissiens actifs mentionnèrent que j'aurais besoin de soins psychologiques pour ma dépression et que ce que je n'avais pas réussi à faire dans l'Eglise Réformée j'essayais de recommencer dans l'Eglise catholique. Cela me fit beaucoup de mal, surtout parce que je ne savais pas qui pensait cela de moi. Tous les paroissiens à mes yeux étaient devenus des observateurs bienveillants mais méfiants.
Dès ce moment, j'entrais en silence, ne faisant que quelques fois des lectures à la messe. Bien des années plus tard, ce curé fut mis à pied pour des actes de pédophilies. Durant toute cette période et jusqu'à maintenant, je me sens dans l'Eglise comme un immigré qui n'a pas retrouvé de nouveau foyer.
Je n'étais qu'un transfuge névrosé et pas un catholique pur-sang !
Depuis cette époque, je n'ai plus pris la parole en public ou dans un groupe. Nous avons déménagé à Broc pour nous rapprocher de Notre-Dame-des-Marches. Nous n'avons pas fréquenté la paroisse mais le sanctuaire marial où je faisais très souvent les lectures à la messe. J'étais devenus ce que tout le monde attendait de moi : un simple paroissien assidu. Puis en 2003, je décidais de changer de vie en divorçant après avoir rencontré une femme que j'ai épousé en 2005.
Ma pratique s'interrompit complètement.
Je n'étais qu'un divorcé-remarié et pas un catholique certifié conforme !
Après 12 ans d'attente dans cette situation de proscrit, j'ai pu faire annuler le mariage et épouser cette femme à l'Eglise en 2017.
Fin 2018, je commençais à m'intéresser à Facebook, dès 2019, je créai un groupe et devins très actif à publier dans plusieurs groupes. J'ai écris entre 2019 et 2021 plus de 600 prières et méditations. Ma pratique a repris sporadiquement uniquement dans des sanctuaires mariaux et un peu au Sénégal.
Je ne suis plus qu'un catholique hors sol !
J'ai l'impression que ce rêve de jeunesse brisé est la colonne vertébrale de toute mon existence de vie d'adulte : c'était mon plan A de vie. Tout ce que j'ai fait à côté, prendre des emplois, monter mon entreprise en 2003 et en vivre depuis lors n'était qu'un plan B que j'ai dû adopter pour faire face à mes obligations familiales et mener une vie normale alors que j'aspirais à quelque chose de plus aventureux et plus excitant.
Ce qu'est le syndrome du grand coquelicot
L’une des grandes contradictions de l’être humain a trait à la difficulté d’apprécier honnêtement les vertus d’autrui, sans en être affecté. Il ne s’agit pas exactement d’envie. Ceci est lié avec ce que nous appelons le syndrome d’exposition élevée ou syndrome du grand coquelicot.
Ce syndrome correspond au fait que les individus génèrent de la haine chez d’autres personnes lorsqu’ils se démarquent trop dans certains domaines. Cette haine n’est pas de l’envie en tant que telle. Elle est davantage liée au fait que le succès des autres rend plus visibles nos propres limitations.
Ce nom résulte du fait que la logique qui prévaut est de couper les fleurs qui poussent davantage que les autres, de sorte que les autres ne souffrent pas de la comparaison. (Psychologue Sergio De Dios González)
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